Le nouveau permis d’exploitation de l’aéroport de Liège contient (enfin) quelques limites (insuffisantes) pour encadrer son futur développement. Inacceptable pour ses dirigeants, qui mobilisent le registre éculé mais efficace du chantage à l’emploi : « 5.000 emplois seraient supprimés avec le nouveau permis, il doit être revu! » nous alarmaient-ils ainsi, le 13 octobre dernier, dans une mise en scène volontairement catastrophiste. Un chantage à l’emploi non seulement grotesque, mais aussi hypocrite et irresponsable.
« Le chantage à l’emploi de l’aéroport de Liège est grotesque, hypocrite et irresponsable »
Un chantage grotesque
Grotesque, tout d’abord, parce que les sombres prévisions de l’aéroport sont évidemment absurdes. 5000 emplois, c’est la moitié des 10 000 emplois (directs et indirects) qui existeraient aujourd’hui selon les chiffres (invérifiables) de l’aéroport. Or, pour rappel, le nouveau permis n’impose ni une diminution (pourtant souhaitable, nous y reviendrons), ni même un gel du volume des activités actuelles, mais simplement une limite à la croissance autorisée du nombre de vols, ainsi qu’une réduction progressive des nuisances sonores liées aux seuls vols de nuit. Rien sur les impacts climatiques de l’aéroport (pourtant massifs), aucune référence contraignante aux critères de bruit de l’OMS, … Bref, des contraintes finalement légères au vu des urgences écologiques et des niveaux de nuisances actuels. Mais à en croire les dirigeants de l’aéroport, aussi limitées et insuffisantes soient-elles, ces contraintes menaceraient déjà à elles seules la moitié du volume de l’emploi lié à l’aéroport!
On se demande ce qu’il en sera lorsque l’Union européenne adoptera des mesures imminentes et autrement plus sérieuses comme la taxation du kérosène ou encore l’inclusion des émissions de l’aérien dans les objectifs nationaux liés à l’accord de Paris…
Un chantage hypocrite
Le chantage de l’aéroport est aussi largement hypocrite. On sait en effet que la menace des pertes d’emploi est un argument systématiquement mobilisé par les industries polluantes pour défendre le statu quo en jouant cyniquement sur l’importance des emplois pour la majorité de la population. Pourtant, quand on se soucie véritablement des travailleuses et travailleurs, on anticipe dès maintenant le déclin inévitable des industries dont le développement n’est tout simplement plus tenable, et on réfléchit surtout aux façons d’organiser et de répartir le travail dans une perspective de justice écologique, économique et sociale. À l’inverse, ce que cherchent aujourd’hui à préserver les défenseurs du business as usual, ce ne sont pas les emplois (selon l’ONU, 80 millions d’emplois sont menacés par une hausse des températures de 1,5 °C… que l’on est déjà pratiquement certains de dépasser), mais bien un modèle économique qui permet à une minorité de s’enrichir au détriment de la planète, du bien-être des travailleuses et travailleurs qu’elle exploite et de la population dont elle saccage le cadre de vie.
Un chantage irresponsable
Enfin, le chantage de l’aéroport de Liège est aussi et surtout gravement irresponsable. Le GIEC vient encore de nous rappeler que sans une réduction « rapide, radicale et le plus souvent immédiate » des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, nous ne parviendrons pas à limiter la hausse des températures à 1,5 °C, ni même à 2 °C, ce qui aurait des conséquences dévastatrices pour la vie sur terre. Pendant ce temps-là, et malgré des avancées technologiques bien réelles, les émissions du transport aérien continuent d’augmenter. Rien qu’à l’aéroport de Liège, ces augmentations ont annulé ces dernières années la totalité des efforts de réduction réalisés à l’échelle de la Wallonie… Dans ces conditions, entendre les dirigeants de l’aéroport plaider pour des « solutions équilibrées » en continuant de vouloir doubler le nombre de vols d’ici 2040 est tout simplement insupportable. Cela revient soit à nier l’importance et l’urgence des ajustements à effectuer, soit à en reporter la responsabilité sur d’autres secteurs ou acteurs. Dans les deux cas, c’est criminel.
Ce qui menace aujourd’hui massivement des emplois, c’est l’inaction climatique. Nous méritons mieux que les chantages simplistes et démagogiques des partisans du statu quo, a fortiori lorsqu’ils dirigent un instrument économique largement financé par nos impôts.